La conférence sur les successions internationales dans l’Union européenne qui s’est déroulée à Trèves (Allemagne) les 23 et 24 novembre 2012, a démontré l’attente très importante des praticiens au sujet du règlement communautaire sur les successions du 4 juillet 2012. En effet, 120 participants venant de plus de 20 pays différents ont assisté à ce colloque.
Les différents intervenants ont souligné le fait que ce règlement aura un impact considérable non seulement sur les états membres mais également sur tous les états tiers qui auront affaire à ce règlement dans leurs relations avec les états membres.
Il existe une grande diversité de règles successorales dans les pays européens. Mme Eleanor Cashin Ritain en a fait un rapide inventaire avant d’insister sur le fait que la professio iuris sera, à coup sûr, pour les estate planner, une source de difficultés difficilement surmontables sauf à avoir un grand nombre de correspondants dans des pays étrangers.
M. Michael Hellner, professeur à l’Université de Stockholm, s’est, quant à lui, penché sur le champ d’application du règlement et s’est surtout intéressé à ce qui se trouvait hors champ d’application de celui-ci, comme, par exemple, la matière fiscale. Il a notamment souligné le fait que la loi qui régira la succession ne sera pas nécessairement la même que celle qui gouvernera le régime matrimonial, ce qui ne permettra pas d’aboutir au souhait des praticiens présents quant à l’unicité des règles s’appliquant à la transmission de la totalité des biens par suite du décès d’une personne mariée. Et ce surtout à la suite de l’adoption du règlement régime matrimonial qui mettra fin à la mutabilité automatique. Les praticiens auront encore la difficile tâche de délimiter si telle clause est un effet du régime matrimonial ou bien de la succession. Il s’est également posé la question de la nature des règles qui devront s’appliquer à ce qui est hors champ d’application du règlement, mais qui font parties de la matière successorale, devrons-nous utiliser nos anciennes règles de conflits internes? Point important pour les notaires, le règlement ne porte pas sur l’inscription dans un registre de droits immobiliers, en d’autres termes, en France, la publicité foncière.
M. Andrea Bonomi, professeur à l’Université de Lausanne, est intervenu sur la loi applicable la succession en cas de choix et en l’absence d’un tel choix. Il a insisté sur le fait que, dans le cadre d’un changement de nationalité abusif, il pourrait y avoir fraude à la loi. Il a critiqué le fait que seule la loi de la nationalité (au moment de la désignation ou au moment du décès) pourra être choisie. Il a notamment pris l’exemple d’un portugais qui aura travaillé toute sa vie en Allemagne et souhaite repartir au Portugal pour sa retraite, mais envisagerait d’opter pour la loi allemande. Ce choix sera impossible sauf à obtenir la nationalité allemande.
M. Hugues Letellier a souligné qu’à la différence de règlement européen « Rome III » sur le divorce, le règlement succession porte également sur les règles de compétence de juridiction.
L’absence de définition de la résidence habituelle dans le règlement a été vertement critiquée par M. Sjef Van Erp, Professeur à l’Université de Maastricht. Il a rappelé que chaque règlement était autonome et que de ce fait, on ne pouvait se référer aux définitions de la résidence habituelle contenues dans d’autres règlements communautaires. Et que, par conséquent, afin de déterminer la résidence habituelle et donc la loi applicable à la succession, le notaire, devra se rapporter à des éléments factuels, et donc sujets à interprétation et éventuellement cela pourra devenir une source de conflit entre les différents héritiers. Il a pris pour exemple un couple de nationalité hollandaise hospitalisé aux Pays-Bas mais ayant une maison en Espagne et souhaitant y retourner. Et a précisé le fait que selon lui, le souhait de vouloir retourner en Espagne, donc l’élément intentionnel n’était pas suffisant. Il devait être conforté par un élément matériel.
La circulation des actes authentiques a également été un sujet de discussion. Les articles 59 à 61 du règlement communautaire sur les successions apportent un grand nombre de précisions sur le régime de la circulation de ces actes dans les états membres.
Une des grandes nouveautés que nous apporte ce texte, est le certificat successoral européen. Un notaire allemand, M.Christoph Dorsel a fait son exposé sur ce thème, en indiquant que ce nouvel outil offert aux praticiens serait extrêmement utile. Il a toutefois était circonspect, sur son efficacité, surtout en comparaison avec le certificat successoral allemand. Il a notamment critiqué le fait que chaque copie n’aura une durée de validité que de six mois et qu’il sera assez difficile à rédiger. Le certificat, selon lui, pouvant faire jusqu’à quinze pages.
Enfin, M. Richard Frimston, a clos cette conférence en s’intéressant à la situation du Royaume Uni vis-à-vis de ce règlement. En préambule de son intervention, il a fait un exposé rapide sur la notion de domicile en Angleterre, et plus précisément sur celle de domicile d’origine. Il a rappelé que l’enfant nouveau-né prend à sa naissance, le domicile de son père. On peut donc aboutir à des situations absurdes, tel qu’un enfant né en Angleterre, dont le père est domicilié en Italie, son domicile d’origine sera donc l’Italie quand bien même il n’aura jamais habité dans ce pays. Toutefois, il existe une possibilité de modifier son domicile à la condition que concordent un élément matériel (un déménagement dans un autre pays) et un élément intentionnel (la volonté d’y rester).
Il s’est ensuite posé la question de savoir si le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark devaient être vus comme des états membres au sens du règlement ou bien comme des états tiers. Il a déploré le fait qu’à la différence d’autres textes communautaires, aucune définition des états membres n’était contenue dans le règlement. Certains intervenants ont estimé que la notion d’états membres renvoyait aux états membres de l’Union Européenne (dans ce cas, Royaume-Uni, Irlande, et Danemark en seraient), d’autres, ont, à l’inverse, une vision plus restrictive, et ne voient comme états membres que les états signataires.
Il a également été apprécié la portée de ce règlement et notamment son imbrication avec la notion de réserve héréditaire, très courante en droit continental. Les participants étaient partagés sur le point de savoir si l’on devait voir l’article 35 du règlement comme portant sur l’ordre public européen ou bien sur l’ordre public interne de chaque état. Et par conséquent, aucun avis ne s’est détaché quant à l’application ou non de l’ordre public international français dans le cas d’un choix de loi étrangère, et de libéralités excessives.
Une des informations les plus marquantes, véhiculée par tous les intervenants, est que les patriciens qui seront confrontés à un droit étranger, notamment lors du choix de loi applicable, ne doivent surtout pas surestimer leurs connaissances de ces droits. Nous ne pourrons efficacement conseiller nos clients, qu’à la condition d’avoir des correspondants à l’étranger qui pourront nous donner des informations pertinentes sur leur droit.
Ces différentes interventions ont provoqué de nombreux débats entre les participants. Cette conférence a montré tout l’intérêt que portent les juristes européens à ce nouveau règlement, qui changera profondément notre pratique. Cette manifestation a posé de nombreuses questions, ouvert des discussions, auxquelles les prochaines conférences ne manqueront pas de répondre ou de participer.
Jean-Baptiste MASSON
Diplômé Notaire
SCP POISSON GAILLARD-SEROUGNE