L’internationalisation du couple et la reconnaissance récente des diverses formes de conjugalité représentent sans aucun doute des facteurs de richesse. Il n’en demeure pas moins que ces phénomènes « nouveaux » comportent aussi des risques et des conséquences non négligeables sur le plan humain et patrimonial en cas de rupture.
Le nombre de divorce s’est fortement accru ces dernières années tant au niveau national qu’international. Même dans un contexte purement européen, le déroulement d’un divorce peut engendrer de nombreuses difficultés. Parmi elles, la question de la loi applicable au divorce et à ses effets se pose de manière récurrente. Il faut dire que la grande disparité et la complexité des règles de conflit de lois et des droits nationaux en la matière entraînent, pour les couples internationaux, une grande insécurité et un manque de prévisibilité indéniable.
Le premier accord de coopération renforcée au sein de l’Union européenne
Une proposition de règlement (CE) no 2201/2003, appelée Rome III, avait été présentée par la Commission le 17 juillet 2006. Le Conseil, les 5 et 6 juin 2008, a constaté l’absence d’unanimité sur cette proposition et les difficultés insurmontables pour l’obtenir.
Devant ce blocage, la Belgique, la Bulgarie, l’Allemagne, la Grèce (qui a retiré sa demande le 3 mars 2010), l’Espagne, la France, l’Italie, la Lettonie, le Luxembourg, la Hongrie, Malte, l’Autriche, le Portugal, la Roumanie et la Slovénie ont présenté à la Commission une demande indiquant qu’ils avaient l’intention d’instaurer entre eux une coopération renforcée.
C’est la première fois dans l’histoire de l’Union européenne que des pays ont recours à ce mécanisme qui permet, à neuf pays ou plus, d’adopter une mesure importante qui est bloquée par une faible minorité d’États. Les autres pays de l’Union conservent le droit de les rejoindre quand ils le souhaitent. Le Conseil a adopté le 12 juillet 2010 la décision no 2010/405/UE autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps.
Le projet a été approuvé par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 20 décembre 2010, le règlement (UE) no 1259/2010 mettant en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps.
Selon l’exposé des motifs « le présent règlement devrait créer un cadre juridique clair et complet dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps dans les Etats membres participants, garantir aux citoyens des solutions appropriées en termes de sécurité juridique, de prévisibilité et de souplesse, et empêcher une situation dans laquelle l’un des époux demande le divorce avant l’autre pour faire en sorte que la procédure soit soumise à une loi donnée qu’il estime plus favorable à ses propres intérêts ». Ceci devrait éviter « la ruée vers le tribunal de la part d’un des conjoints » sachant pertinemment que cette juridiction sera plus favorable à ses intérêts ou d’imposer des règles n’ayant pas ou peu de lien avec l’un des conjoints.
Le règlement intervient uniquement dans des circonstances internationales, par exemple s’agissant d’époux de nationalité différente ou résidant dans des États membres différents ou dans un État membre dont au moins l’un d’eux n’est pas ressortissant.
Les règles retenues par le règlement
Si les époux sont d’accord, ils pourront choisir la loi applicable à leur divorce ou à leur séparation de corps. À défaut de choix par les parties, le règlement détermine la loi applicable.
Le choix de la loi applicable par les parties
Le règlement offre aux époux une grande flexibilité en leur donnant plus d’autonomie dans le choix de la loi applicable à leur divorce ou séparation de corps. Les lois susceptibles d’être choisies seront celles avec lesquelles ils ont des liens étroits en raison de leur résidence habituelle, de leur dernière résidence habituelle commune si l’un d’eux y réside encore, de la nationalité de l’un des époux ou la loi du for. Cette loi peut être la loi d’un État membre participant, la loi d’un État membre non participant ou la loi d’un État non membre de l’Union européenne en raison du caractère universel du règlement.
Selon l’article 5, les lois susceptibles d’être choisies sont les suivantes :
a) la loi de l’État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou
b) la loi de la dernière résidence habituelle des époux pour autant que l’un d’eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention ; ou
c) la loi de l’État de la nationalité de l’un des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou
d) la loi du for.
Le choix par les époux de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps indiqué à l’article 5 s’adresse à tous les couples internationaux, quelle que soit leur résidence, ressortissants des 14 États membres participants ou des 13 autres États de l’Union européenne ou d’un État tiers.
Indépendamment du tribunal saisi dans l’un des États membres participants, il serait appliqué la loi désignée d’un accord commun (sauf si la loi désignée était manifestement incompatible avec l’ordre public de cet Etat).
Cependant, si la juridiction saisie n’est pas celle d’un État membre participant au moment de l’instance en divorce ou en séparation de corps, cette convention ne sera peut-être pas reconnue par le juge devant lequel les époux plaideront. Il faudra vérifier si les règles de droit international privé en vigueur dans cet Etat ainsi que son ordre public sont compatibles avec la loi désignée.
Il sera prudent, lorsque la convention de choix de loi applicable sera établie par les époux, de les avertir de sa limite possible d’admission au moment de la procédure de divorce ou de séparation de corps et de s’assurer, en cas de contentieux, que la loi désignée ne sera pas écartée par le juge compétent.
Un choix libre mais éclairé
La convention désignant la loi applicable au divorce peut être conclue et modifiée à tout moment, mais au plus tard au moment de la saisine de la juridiction.
Si la loi du for le prévoit, les époux peuvent également désigner la loi applicable devant la juridiction au cours de la procédure. Dans ce cas, la juridiction prend acte de la désignation conformément à la loi du for ».
Le règlement insiste sur les informations que les époux doivent avoir à leur disposition concernant le choix de loi applicable et ses conséquences. Le choix éclairé des deux conjoints doit être respecté ; leur notaire se chargera de leurs apporter les conseils nécessaires.
Les exigences de forme de la convention
La convention doit être formulée par écrit, datée et signée par les deux époux. Toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite.
Des règles formelles supplémentaires pour ce type de convention peuvent être prévues par la loi d’un État membre participant et ceci conduit aux distinctions suivantes (art. 7) :
« Si la loi de l’État membre participant dans lequel les deux époux ont leur résidence habituelle au moment de la conclusion de la convention prévoit des règles formelles supplémentaires pour ce type de convention, ces règles s’appliquent.
Si, au moment de la conclusion de la convention, les époux ont leur résidence habituelle dans des États membres participants différents et si les lois de ces États prévoient des règles formelles différentes, la convention est valable quant à la forme si elle satisfait aux conditions fixées par la loi de l’un de ces pays.
Si, au moment de la conclusion de la convention, seul l’un des époux a sa résidence habituelle dans un État membre participant et si cet État prévoit des règles formelles supplémentaires pour ce type de convention, ces règles s’appliquent ».
À titre d’exemple, des règles formelles supplémentaires peuvent exister dans un État membre participant lorsque la convention est insérée dans un contrat de mariage. Ce pourrait être également l’exigence d’un acte authentique, d’une consignation devant un greffier ou, encore, l’inscription de la convention dans un registre spécial…
La loi applicable à défaut de choix par les parties
À défaut de choix de loi applicable, le règlement a instauré des règles de conflit de lois harmonieuses instaurant une échelle de critères de rattachements successifs reposant sur l’existence d’un lien étroit entre les époux et la loi concernée.
L’article 8 du règlement dispose que :
« À défaut de choix conformément à l’article 5, le divorce et la séparation de corps sont soumis à la loi de l’État :
a) de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,
b) de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux réside encore dans cet État au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,
c) de la nationalité des deux époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,
d) dont la juridiction est saisie ».
À défaut de choix par les parties, la loi applicable est déterminée selon une échelle de critères de rattachement où la résidence habituelle des époux figure en première place. Le fait que cette règle soit fondée, au premier chef, sur la résidence habituelle des conjoints et, à défaut, sur leur dernière résidence habituelle si l’un d’eux y réside toujours, entraînera dans la grande majorité des cas l’application de la loi du for. Les problèmes liés à l’application d’une loi étrangère seront donc rares.
Selon l’article 10, la loi de la juridiction saisie s’appliquera « lorsque la loi applicable selon les articles 5 ou 8 ne prévoit pas le divorce ou lorsqu’elle n’accorde pas à l’un des époux, en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe, une égalité d’accès au divorce ou à la séparation de corps ». Cette règle est destinée à éviter les discriminations.
Un champ d’application doublement limité
Tout d’abord d’un point de vue géographique, le règlement n’est applicable que dans les Etats membres participant à la coopération renforcée, soit quatorze Etats.
En outre, le domaine d’application du règlement est limité aux seules causes de dissolution (divorce par consentement mutuel ou autres) et à la séparation de corps. Les effets du divorce échappent en réalité dans une très large mesure à la loi du divorce et obéissent souvent à des dispositifs spéciaux. Citons, parmi les plus importants, la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 pour la garde des enfants, ainsi que le règlement (CE) du 18 décembre 2008 et le protocole de La Haye du 23 novembre 2007 pour les obligations alimentaires. Ainsi, les conséquences patrimoniales du divorce, à savoir la liquidation du régime matrimonial et la fixation de la prestation compensatoire (assimilée aux obligations alimentaires) sont exclues du champ d’application du règlement.
Un règlement prochainement en application
Comme il est désormais classique dans les règlements, il convient de distinguer l’entrée en vigueur du texte et son entrée en application.
Le règlement entre en vigueur le jour suivant sa publication au Journal officiel de l’Union européenne. Ayant été publié le 29 décembre 2010, il est donc entré en vigueur le 30 décembre 2010. Mais il ne sera effectivement en application que le 21 juin 2012.
Depuis l’entrée en vigueur du règlement, il est possible de désigner la loi applicable à un éventuel divorce qui surviendrait à compter du 21 juin 2012.
Dès à présent les notaires peuvent être amenés à conseiller leurs clients sur l’opportunité et la rédaction de conventions de choix de loi applicable au divorce. Ces accords « pré-matrimoniaux » pourront éviter une discussion sur le droit applicable en cas de contentieux.